A mon réveil, un médecin en blouse blanche m’a dit que j’allais en clinique psychiatrique.
« Mais non ! Je ne veux pas ! » Je m’écrie. Mais il me réplique que sinon, c’est Le Vinatier, l’hôpital psychiatrique de Lyon. Alors j’ai accepté.
L’endroit s’est avéré joli. Derrière ces hauts murs ornés de barbelés se cachait un beau jardin, avec des arbres et des fleurs : roses, iris, glaïeuls, et pâquerettes et deux vieux bâtiments désuets. Au premier repas, je n’ai rien pu avaler, mais bon je me suis bien rattrapé après.
Au début, j’avais peur des gens, surtout de leur regard sur moi. Oh, ce n’était pas agressif, mais insistant et pénétrant, je me sentais nu, comme si ma pathologie était inscrite sur mon front. TS ? Ts ! Tssss… Mais je me suis habitué. Au fond, c’est agréable de ne pas avoir de secret. L’ambiance était conviviale, joyeuse, voire lubrique parfois. Mais quoi ? J’étais amoureux de ma femme et n’aurais dérogé pour rien au monde à ma fidélité, pour pouvoir ainsi lui reprocher ses adultères. J’ai même prétexté l’homosexualité pour signifier mon refus à une femme… « J’aime bien comme ça aussi. » m’avait-on répondu. Ah bon ?!? Non merci. Les yeux de la vamp dégoulinaient de tranxène… Autant que de stupre. Om'a dit plus tard qu'elle était très douée. Non ! sans regret !
Mon collègue de chambre, un barbu, n’était pas causant. Il serrait cette femme par la taille, mais ne l’embrassait jamais. Peut être n’aimait-elle pas les poils, qu’il avait noirs et durs… Ce n’était certes pas un barbu religieux avec tout ce qu’il buvait en douce !...
Il y avait tout un tas de gens singuliers aussi, comme ce chef d’entreprise victime de surmenage, ce cuisinier-pâtissier : il m’offrait des paquets de tabac avec cet air torve qui me mettait tellement mal à l’aise. Il écrivait tout ce qu’il faisait. J’avais trouvé ça ridicule à l’époque, mais qui sait, ma vocation d’écrivain vient peut être de là ? Il y avait cet homme divorcé qui se faisait un point d’honneur de laver son linge à la main. Il y avait ce grand blond qui construisait des tabernacles avec tout un bric-à-brac au fond du parc, non c’était en plein milieu. Et cette professeur de danse du ventre qui se faisait bronzer en bikini, et cet ancien légionnaire à qui une prostituée juive avait jeté un sort, mais pour moi, c’est l’horreur sans nom de la guerre qui lui avait tourné le cerveau. Il y avait les infirmières, Ah !... les infirmières : tout un monde ! Tellement uniques et particulières, chacune dans son genre. Il y avait le bouddhiste qui dealait du H, (oui, H comme drogue) et cet échalas de 18 ans qui le fuyait comme un toutou.
Il y avait les docteurs enfin, chacun le sien, sauf les jours fériés : « T’as qui toi ? » « Ah bon ? Il est bien ? Tant mieux. » Ou « Tant pis » selon les cas. La pire, c’était celle qui venait en Lamborghini rouge et en décolleté majeur…
Mais c’était une joyeuse compagnie dans l’ensemble… Ca draguait ferme sur le terrain de boules… On riait beaucoup à notre table, mais pas du tout à la table des repas avec régime, allez savoir pourquoi ?
A chaque entrée de nouvel arrivant, nous passions l’inspection… A chaque sortie, on se promettait une amitié éternelle « sorties d’anges heureuses » voilà le niveau de nos blagues ou bien de voler le jour du premier avril la clochette qui sonnait le repas...
Celui dont je me souviens vraiment, c’est Frédéric, blond, décontracté, détendu même. Il était entré un lundi, alors que les changements de résidents (ou patients) se faisaient le jeudi. Je lui ai demandé comment ça se faisait. « Admis en urgence » et il s’est remis à sourire… comme un imbécile heureux. Mais imbécile il était loin de l’être. Heureux. Par contre, il l’a confirmé par la suite ; « mais alors pour quoi t’es là ? » Sa réponse m’a marqué pour la vie : « parce que mon patron ne voulait pas me donner des congés payés. » Quoi ?!? Il venait ici pour se payer du bon temps. Oui, nourri, logé, rien à glander… C’était sa conception des vacances. Je me demande quel baratin il avait servi à l’infirmière en chef pour être admis devant toute la liste d’attente. Je me le demande surtout, avec nostalgie, quand mon patron ne veut pas me donner de congés payés. Car je suis retourné là-bas plusieurs fois, mais contraint-forcé, avec une seule idée en tête : sortir. Mais il n’y a que les imbéciles qui ne changeaient pas d’avis, non ?
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