Franchement, je ne m’attendais pas à croiser qui que ce soit. Il était entre 2 heures et 3 heures du matin. L’air était frais, et j’ai fermé mon blouson. Je me suis allumé une cigarette, une sale manie que j’aimais car le feu me fascine plus que le tabac, c’est le baiser brûlant de la braise ardente que j’apprécie, jouer avec le feu est pour moi une seconde nature.
C’est à ce moment là que j’ai senti une présence, dans la nuit. Je me sentis observé. Alors je m’arrête, et sonde les ténèbres du regard. Effectivement, j’ai l’ouïe fine, j’entends un souffle tout proche. J’allume mon briquet. Un clochard est là, sous un porche qui me sourit.
« Eh, gamin, t’as pas une clope pour un vieux bonhomme fatigué ?
- Bien-sûr, Monsieur.
Il rit.
- On ne m’a pas appelé Monsieur depuis des années. Tu es trop poli pour être honnête. Quel est to vice, gamin ?
- Je ne sais pas. » Je ne crains personne car je suis plutôt costaud et surtout,
je sais parler, même aux gens détraqués. Ce type était paumé, c’est dommage pour lui, mais je ne suis ni Zorro, ni le Père Noël. J’allais continuer mon chemin quand il reprend :
« Eh, gamin, t’a pas une pièce pour un vieux bonhomme fatigué ?
- d’accord, si vous voulez… » Et je lui donne ma ferraille, les petites pièces
que j’avais dans ma poche, pas grand-chose. Une clope, de l’argent, que pouvait-il espérer de mieux? J’allais décidément m’en aller, quand il m’a pris de court :
« Eh, gamin, t’a pas 5 minutes pour un vieux bonhomme fatigué ? » Surpris, j’ai hésité, mais je me suis dit que c’était au fond ce que je cherchais en me promenant la nuit, bavarder avec un inconnu. J’aurais préféré une jolie fille, mais je n’étais pas naïf, et c’était ce type tout ce qui s’était présenté à moi. Alors, sans un mot, je me suis assis dos au mur à côté de lui ; il m’a tendu sa bouteille mais j’ai refusé poliment. Et il s’est mis à parler. Doucement, lentement, tranquillement, il m’a parlé du monde et de sa vie, de tout ce qu’il trouvait de beau, les levers de soleil, le ciel toujours différent, les couchers de soleil, la nuit mystérieuse, le silence et la paix intérieure qu’il avait.
« Tu comprends, gamin, je n’ai aucun droit aujourd’hui, je n’ai aucun bien à préserver, aucune famille à nourrir, pas de situation à responsabilités qui me prend mon temps… Il a marqué un silence.
- Mais du coup, je n’ai aucun devoir, je ne dois rien à personne, et je ne fais ce
que je veux…
- Oui, mais sans argent, vous ne pouvez rien faire. J’ai protesté.
- Tu parles, je mange tous les jours, et je trouve même de quoi picoler. Les gens
d’ATD quart monde me donne de chouettes livres, surtout, rien ne m’empêche de penser librement.
Après un silence, il me regarde pour la première fois depuis le début de sa péroraison.
- Tu sais, il y a des choses que l’argent ne peut pas acheter
- Quoi ? J’étais con.
- La liberté d’être soi.
J’allais rétorquer que j’avais choisi mes études et faisais tout ce qu’il me plaisait
de faire, mais il m’arrêta net.
- Tu fais ce que tu veux, mais es-tu qui tu veux ? Pour qui es-tu important ? Qui
te connait vraiment dans tous secrets ? Qui es-tu ?
- … Je ne m’étais jamais posé la question
- Je ne te demande pas ton nom, ni ton pédigrée, gamin, mais ton être ! »
Il avait haussé le ton sur ce dernier mot, et se tut. Il avait raison, je savais qui j’étais dans la société, dans le monde, un étudiant, un français, un homme, mais en moi, je ne pouvais me définir clairement. Je l’ai quitté au petit matin. Nous n’avons plus beaucoup parlé après cette dernière idée. Qui suis-je ? Cette question m’occupe encore l’esprit à ce jour. Je suis un voyageur dans la vie, je marche encore la nuit dans les rues, je n’ai jamais trouvé vraiment la réponse.
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