Dédié à Soraya D.
La passion de la montagne a gagné peu à peu Sophie, alors que c’est une citadine par conviction qui rend un culte fervent aux soldes, aux cinémas, et à sa voiture… De plus, la télévision la captive au point qu’il ne faut rater pour rien au monde les épisodes de sa série préférée, même pour aller au mariage de sa meilleure amie, tout juste pour aller au supermarché seulement… Bref, la montagne pour elle, c’était fait pour les autres.
J’ai usé de toute ma ruse pour l’habituer petit à petit à la randonnée dans les alentours de notre ville, j’ai même simulé une panne de voiture en rase campagne. Elle a convenu que ça musclait les abdos-fessiers, et marchait d’un bon pas avec son baladeur collé aux oreilles.
Pour l’habituer au plaisir unique des cimes, j’ai d’abord fait appel aux petites routes, aux téléphériques, et à une ballade à cheval… Mais mes efforts n’avaient pas été vains. Le résultat était là : elle acceptait de me suivre dans mes courses à travers les alpages. Nous avions investi dans de bonnes chaussures. Elle ne portait rien, ne lisait pas la carte, ne connaissait pas la boussole mais elle marchait bien à présent.
Nous faisions cette fois là une marche de cinq jours à travers les Ecrins, sans rallier de village: c’était une sorte de voyage de noces, notre première semaine entière de vacances ensemble. Elle était silencieuse sur le chemin et se rattrapait à l’étape. Nos nuits étaient tendres. J’étais heureux, j’avais ma bien-aimée et mes cimes, les deux amours de ma vie.
C’est le troisième jour que ça c’est passé. Nous faisions le chemin entre le refuge des Bons et celui de Pelvoux en contournant le Mont Pelvoux, justement, par l’est. J’ai bien vu qu’elle trainait la patte ce jour là, mais tout à mon plaisir, j’ai marché à mon rythme trop longtemps, quand je me suis retourné, au col où je voulais lui montrer la vue sublime, je ne la vis plus. Le chemin qui serpentait sur le pâturage nu était vide.
J’ai dévalé le sentier dans l’autre sens, guettant le moindre signe de ma Sophie dans le paysage aride, et me faisant tout un cinéma dans la tête : elle s’était foulée une cheville, ou elle avait dévalé d’un pic, ou bien, elle s’était trompée de chemin, et errait, perdue. Je l’ai cherchée, épouvanté, affolé, paniqué ! J’ai cru devenir fou ! Il n’y avait aucune trace visible de quoique ce soit. Elle ne pouvait pas avoir été enlevée par les martiens ! Alors ? Alors, je me suis assis au sol, et la tête dans les mains. J’ai pleuré toute l’eau de mon corps. J’ai sangloté de ma bêtise, de la perte de mon aimée, de peur, d’épuisement (j’avais fait le chemin dans les deux sens 4 fois !) j’étais perdu !
Enfin, je résolu de retourner au chalet de départ alerter les secours. La mort dans l’âme, je me suis avoué mon échec et mon impuissance à sauver ma chérie. Je me battais le train avec vigueur mais seulement mentalement. Pas fou !
Enfin, je m’approchais du chalet accroché à flanc de crête, préparant mes explications, mais avant que je ne dise un mot, Patrick, le responsable du refuge me tendit une enveloppe, oui mon nom était écrit de son écriture. J’ai eu l’air tellement stupide de surprise que le montagnard éclata de rire. Il se tenait les côtes et s’étranglait.
Enfin, il me dit que tôt le matin, Sophie était passée en courant presque, avait rédigé ce mot, et était partie aussi rapidement vers la route qui mène à Vallouise, dans la vallée. Hésitant entre fureur et soulagement, j’ouvris le message et je pus lire ceci :
BONJOUR MON AMOUR.
J’AI REBROUSSE CHEMIN. TU ETAIS TROP LOIN POUR QUE JE PUISSE T’AVERTIR. JE REVIENS AVANT LA NUIT. BISOUS MON CŒUR. TA SOPHIE.
Je ne comprenais rien, mais la fatigue a ceci de bon que cela maintient le calme. Je m’adossais à un rocher et mangeai un casse-croûte, tentai de lire, et ne cessais de scruter le chemin qui montait de la vallée.
Effectivement, comme le soleil se couchait, je vis cette silhouette que j’avais tant cherchée se dessiner au loin, et se rapprocher. Sophie marchait gaillardement. Elle portait un petit sac à dos et un sourire radieux ! « J’ai trouvé ! me cria-t-elle de loin.
- Tu as trouvé ton chemin pour rentrer au point de départ, je sifflai entre mes dents.
- Oui, acquiesça-t-elle sans sourciller et tout modestement, mais surtout j’ai trouvé ce que je cherchais. J’ai eu du mal, mais j’en ai un !
- Un quoi ? J’étais toujours perdu.
- Un lecteur dvd mobile !!! »
Elle était au comble de la joie ! Et elle se jeta à mon cou pour me coller son sourire partout sur ma grimace. Je finis par rire. Elle était parti se chercher un semblant de télévision, et pour cela avait marché deux fois plus que notre course initialement prévue. J’étais admiratif d’une telle motivation. Je ne pouvais pas râler. Je n’ai rien dit. Je l’ai assise à côté de moi, et, épaule contre épaule, nous avons regardé ce soir-là le grand bleu en entier. C’est un film de plongée sous-marine… Mais à ce point de l’absurde, plus rien ne me choquait.
Ainsi, nous avons fait beaucoup de marche en montagne, parcouru des kilomètres et des kilomètres tous les trois, Sophie, la télévision, et moi. Au fond, l’amour, c’est bien regarder dans la même direction…
Mais depuis ce jour-là, c’est elle qui marche devant…
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